jeudi 11 octobre 2012
Vision auditive.
Dessin à l'encre de Chine et aquarelle sur papier taché.
H.80-L.130cm.
"Toutefois le silence n'était pas absolu et abstrait, mais de ceux qui avec le temps deviennent de plus en plus complexes et oppressants. On s'aperçoit alors qu'ils sont peuplés de petites irrégularités, de sons d'abord imperceptibles, de murmures étouffés, de craquements mystérieux. Et comme en regardant patiemment un mur humide on finit par discerner le contour de visages, d'animaux, de monstres mythologiques, dans le vaste silence de cette caverne mon oreille attentive découvrait des structures, dessinait des formes qui peu à peu prenaient sens : le bruit caractéristique d'une cascade lointaine, des voix étouffées d'hommes qui se cachent, des chuchotements d'êtres, peut-être tout proches, des prières mystérieuses et entrecoupées, le piaillement d'oiseaux de nuit. Bref, une infinité de rumeurs et d'indices qui engendraient de nouvelles craintes ou de nouvelles espérances. De même que Léonard n'inventait pas des visages et des êtres monstrueux dans les taches d'humidité, mais les découvrait au creux de ces labyrinthes minuscules, de même ce n'est ni mon imagination aux aguets ni ma peur qui me faisaient entendre des rumeurs rappelant des voix étouffées, ds prières, des battements d'ailes ou des cris de grands oiseaux. Non, ma peur, mon imagination, mon long et terrible apprentissage de la secte, l'affinement de mes sens et de mon intelligence au long de tant d'années de recherches me permettaient de découvrir des voix et des formes malveillantes qui auraient sans doute passé inaperçues au commun des mortels. Déjà dans ma petite enfance j'avais vu les premières images de ce monde pervers dans mes cauchemars et mes hallucinations. Tout ce qu'au cours de mon existence j'avais fait ou vu par la suite avait eu, d'une façon ou d'une autre, un lien avec cette trame secrète, et des faits qui pour d'autres n'auraient eu aucune signification m'apparaissaient clairement avec leurs contours exacts, comme dans les devinettes enfantines lorsqu'il faut trouver un dragon caché dans les arbres ou les ruisseaux."
Ernesto Sabato. Heros et tombes. Trad.J.J Villard. Seuil poche. Pages 356et357.
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